publié le 23 novembre 2024 , par dans Accueil> Repérage
Jusqu’à avant-hier ( j’écris cette chronique, ce 11 novembre, comme quelque part perdu dans le brouillard de la vallée de la Saône), je n’avais guère à dire sur l’autrice, Charlotte Minaud, sinon ce maigre renseignement lâché en accompagnement de son envoi : ses écrits, précisait-elle, sont le fruit de plus de dix ans passés auprès de mes collègues de peinture. Un livre récemment reçu apporte un tout autre éclairage :
en provenance des bonnes éditions Lurlure, dans la collection P’tits papiers ( je la découvre pour l’occasion. Mais n’est-ce pas l’ouvrage inaugural ?), vient de paraître La Table du poème : poèmes de Milène Tournier (dernier I.D la concernant : n° 1092, à propos de Cent portraits vagues) ; illustrations de Charlotte Minaud, dont les mains, vouées jusqu’ici à la peinture de bâtiments, comme on l’avait compris, découvrent qu’elles savaient aussi dessiner (pour emprunter à sa notice biographique).
Assez commenté. Donnons à lire présentement trois extraits de Murs / fragments de chantier. Je m’en tiens aux trois premières pages :
I -
Poncer toujours poncer. Et puis poncer encore toujours poncer des mots dans le creux de mes bras, les arracher de mes mains abîmées. Poncer comme une urgence poncer pour ne pas tomber poncer pour supporter poncer pour ne pas hurler. Poncer, toujours poncer affûter limer jeter les mots blessés affûter limer poncer les mots les garder meilleurs. Construire une cathédrale de mots beaux, enfiler des gris gris de mots en collier pour conjurer les maux pour guérir du mal de poncer affûter limer.
*
Et puis un jour faire le tour de la ville des chantiers effectués. Comme une randonnée désolée. Tisser une toile de souffrance, de douleur de labeur. Là un plafond, là du papier peint. Ici peinture, ici ponçage. Là, une demi-journée, là, des mois. Ici des particuliers, ici une école, un hôpital, des bureaux, un commerce. Des gens croisés, des tas de gens croisés. Collègues, clients, conducteurs de travaux, architectes, boulangerie du coin, supérette... On en retient un, on en oublie des dizaines. Un sourire, un mépris. Un café, des fleurs, des chocolats. Un merci. Parfois. Un bravo. Pas souvent. Consolations approximatives. Déambulation de labeur. Dans la ville araignée. Compter la sueur, les heures de. Et puis, les transports. L’attente. Le froid. Le chaud. Les odeurs. L’attente, le froid, le chaud, les odeurs. Et puis fermer. Fermer la carte mentale. Pour ne pas rester piégée bloquée dans la toile. Des chantiers.
*
Ne garder qu’un geste. N’en garder qu’un. Le plus ingrat, le plus invisible, le plus répétitif, le plus douloureux, le plus sonore, le plus sensuel, le plus essentiel, le plus salissant, le plus fatigant, le plus technique, le plus annihilant, le plus abrutissant. N’en garder qu’un. Ce sera celui-là. L’user. Le limer. Jusqu’à le faire disparaître.
Repères : Charlotte Minaud (dessins), Milène Tournier (textes) : La Table du poème. Coll. P’tits papiers. Ed. Lurlure ( 7 rue des Courts Carreaux – 14000 Caen) 48 p. 14€.
Rappel : Milène Tournier : Cent portraits vagues. Ed. Lurlure. 132 p. 16€.
De la même poète : Poèmes d’époque. Polder n° 184. Préface de François Bon. On peut se procurer cet ouvrage contre 9€ (port compris) à l’adresse de la revue Décharge (11 rue Général Sarrail - 89000 Auxerre) ou des éditions Gros Textes (Fontfourane - 05380 Châteauroux-les Alpes).