publié le 15 juin 2019 , par dans Accueil> Les I.D
Et c’est bien cette faculté à s’émerveiller d’un rien – c’est si peu de chose qui émeut, écrit-elle - qui marque d’abord les poèmes de Véronique Gentil, sans que je puisse affirmer qu’il s’agit là d’une constance de l’œuvre que je découvre pour l’occasion, mais qui court déjà sur une dizaine de livres, principalement publiés chez Pierre Mainard et un précédemment : Va, chez Faï fioc. Dès lors, sous ce regard d’une innocence toujours ravivée, les anémones des bois blanches deviennent merveilleuses, formidables les noms des herbes folles (soigneusement désignées, ce qui est aussi une des caractéristiques de cette prose : agrostide stolonifère, vulpin fauve, mélique uniflore, brome confondu, sétaire verte, - pour m’en tenir à cette seule page. On trouve à la suite d’autres exemples de ce plaisir à nommer : dans sa jeunesse, confie-t-elle, les mouvements inédits des mots étaient mes seuls mouvements de joie), splendides les allées parcourues à vélo. Et
l’orage avait pris fin
on glissait dans l’air
en se sentant heureux
sensation qui va jusqu’à laisser à la cycliste l’impression d’être nue ? Plus scandaleux : qu’un bonheur naisse de si peu : de l’évocation des orties (ces urticantes tiennent une place tout à fait particulière chez cette poète), de la vue d’un citron séché, si précieux qu’il est tenu pour Talisman (c’est le titre du poème), ou de celle d’un papillon mort, et qui va déclencher une méditation sur le temps et la durée de vie offerte à chacun :
sur une herbe un papillon mort s’accroche encore par ses griffes. Ses couleurs ont passé et son pauvre poids d’écailles il l’a abandonné en se frottant aux fleurs
qu’y a-t-il dans ce triangle rectangle d’ailes repliées qui m’atteint autant qu’un événement majeur ? Dans cette vie qui délivre si peu d’épaisseur et de force ?
un angle par lequel on perçoit l’éphémère très simplement, et même très brutalement, une vue où se forment des pensées sur des nuances d’existences, par où elles trouvent leur sol sans abus de symboles ou d’analogies
près du goudron désert et familier le papillon n’est pas comme une feuille, il ne figure pas la brièveté de la vie. Il est un papillon mort à la vie brève
ainsi la vie n’est-elle plus agrégée artificiellement à une autre vie mais révélée dans sa part commune et sa part singulière
Un poème solaire ne va pas sans son ombre, et le lecteur au fil de sa lecture perçoit sous l’apparente sérénité des notes discordantes :
tandis que le soleil chauffe la terre
des bêtes tombent aux abattoirs
une page plus loin, cette ligne inquiétante : (c’est la guerre, c’est la guerre)
si bien qu’on pourrait retenir comme moralité ces bribes d’un des dernières proses ( Chantiers ) :
vers dix heures [la lumière] divise le jardin en deux parties égales d’ombre et de clarté, il suffit d’un pas pour passer de l’une à l’autre comme il suffit parfois de quelques enjambées pour changer de pays, on traverse la rivière, on descend un peu la montagne et nous voici à l’étranger sans nous en être aperçu
ou encore, manière de conclure :
je n’ai pas parcouru le monde, j’ignore à peu près tout de la vitesse, mais j’ai écouté le bouche des chevaux, le patient broyage de l’herbe, des pommes et du pain dans des jus verts m’a gardée de bien des tourments
et c’est en attisant mes perceptions que je pense
Repères : Véronique Gentil : Le Coeur élémentaire. Aux éditions Faï fioc ( 15 rue Haute – 54200 Boucq) 56 p. 8 €.
Chez le même éditeur : Julien Bosc : La demeure et le lieu. Lire l’I.D n° 824 : Déjouer les incertitudes de l’existence .
Sur Illarie Voronca, on se reportera à l’I.D n° 256 : La mort demande une grande douceur (I.V).