I.D n° 1153 : Claire Garand et le Gros Calin Puant

publié le 16 juin 2025 , par Claude Vercey dans Accueil> Les I.D

 
 

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Les chemins sont divers, qui mènent au premier livre de poèmes. Et il apparaît que Claire Garand n’a pas suivi le chemin le plus fréquenté, qui passe d’ordinaire par la fréquentation des revues de poésie et une maturation lente au fil des publications. Joies, qu’elle présente aux éditions de La Tête à l’envers, succède de fait à l’écriture de romans de genre, fantastique, horrifique ou de fiction spéculative. Cette démarche explique certainement l’originalité de ce livre, et il nous est ainsi rappelé que la poésie s’écrit essentiellement contre la poésie.

Couverture : Sabine Delahaut

La gravure de couverture, due à Sabine Delahaut, nous interpelle : cette avancée vaguement excrémentielle, effrayant cette pauv’ bestiole de type chien ou renard, est-ce que ça vous fait rire ? J’imagine qu’une telle scène, de cet animal apeuré devant ce qui pourrait bien être un Gros Calin Puant, pour emprunter cette dénomination au premier texte (Tu es là, toi ?), est de celles qui mettent en joie Claire Garand. Elle préfigure assez justement l’esprit des poèmes qui vont suivre. Jugeons-en :,

D’en haut, je me vois en bas.
À côté de moi,
Il souffre.
Je l’ai blessé, je suis coupable,
Je le regarde se tortiller.
Il a mal.
Je ne m’en veux pas, je fais une expérience.
Voyons le résultat.
Des cris.
On arrive.
On s’attroupe, on s’affole, on s’inquiète
On s’agglutine
Personne ne pense à moi, ne me voit.
Hé ! Je suis là !
On ne m’interroge pas.
Découverte de l’impunité. Quel choc !
Enfin, on me regarde, on me sourit, on m’éloigne, on me protège de ces horreurs
Puisque je suis une perfection.

Les joies, auxquelles Claire Garand nous convie, sous-entendent une cruauté certaine, à l’instar de la poésie, récemment retrouvée à la faveur de son Bébé rose (I.D n° 1138), de Jean-Luc Caizergues. Les incertitudes d’identité, les équivoques qu’elles provoquent, plongent la narratrice dans le ravissement, elle aime les renversements de perspectives (le premier vers du poème précédent en donne un exemple), si bien qu’une cruauté qui paraît d’abord viser autrui peut se retourner contre la locutrice elle-même, en un masochisme qui souvent se manifeste :

Prenez cette chaise
Attachez-moi
Liez-moi les mains
Dans le dos
Les pieds aux pieds
Braquez-moi la lumière dans les yeux
Forcez-moi
J’écouterai tout
Vos paroles me passionnent
Je vous le promets
Tout
Si vous saviez

Perversité et nihilisme, sans doute. Ajoutez-y toutefois, pour rendre compte plus justement de la saveur de cette poésie, une grosse dose d’humour. Savourez :

Vide
Sans envie d’être rempli
Du centième étage
Je tombe
Avec nonchalance
En regardant le sol s’approcher
Rien de fascinant

Repères  : Claire Garand. Joies. Couverture : Sabine Delahaut. Éditions La Tête à l’envers(9 Petit Ménetreuil - 58330 Crux-la-ville.) 68 p. 16€.

 

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