Avec Passage avec les voix, récemment paru aux éditions du Cygne, Patricia Castex Menier s’invente une approche inédite : ce livre, indique-elle en note liminaire, s’est construit en référence à la structure de la tragédie grecque antique ; et le poème d’ouverture, repris par ailleurs tel quel en exode, insiste : Souvent, les personnages de la tragédie hantent ma nuit, et ce, comprend-on, depuis un récent séjour à Delphes, qui fut déclencheur.
De tels avant-propos pourraient intimider : qu’on se rassure, aucune érudition particulière n’est requise pour goûter à cette poésie. Si divinités et héros, - héroïnes plus encore - sont convoqués, ils apparaissent sous des formes familières, modernisées, banalisées : une mythologie désenchantée où Hélène a vieilli, où le Styx est devenu fleuve infranchissable de voitures, qui sépare les amants, même lorsque le feu passe au vert, où les Érinyes sont édentées, cacochymes, cul-de-jattes, et le poète / Orphée descendu aux enfers n’y est pas spécialement attendu par les morts. D’ailleurs : avais-je quelque chose à leur dire ?
De fait, dépoussiérant avec malice ce monde ancien, Patricia Castex Menier renoue avec la poésie de l’intime qui lui est familière : plutôt que de se colleter avec les dieux formidables, les divinités semeuses de terreur, elle préfère évoquer la modestie des petits dieux, retrouver [son] lot ordinaire de silence / sa part habituelle d’obscurité, rendre hommage aux petites choses qui enchantent malgré tout la vie.
Ce n’est pas rien, ce matin,
un rayon de soleil qui frappe à la vitre.
Devant un monde fourbe, qui nous abuse, désormais heureusement dépeuplé de ses dieux et de leurs promesses - : de toute manière / ni toi ni moi n’avons jamais compté / sur la survie des ombres - la narratrice affiche une sérénité pleine de sagesse, qui s’exprime tant dans ses propos que par la forme, la limpidité harmonieuse de ses vers, au gré d’une scansion apaisée :
C’est sans regret :
Les dieux nous ont lâchés,
et nous dormons dehors,
sous un ciel vide.
Tu installes ton bras
pour que j’y pose ma tête,
je règle mon souffle
pour que s’apaise le tien.
Bientôt nous fermerons les yeux
pour une nuit à dimension humaine,
au sommeil nouveau
que l’indifférence de l’univers
rend désormais plus léger.
N’ira-t-on pas jusqu’à reprocher à l’insoumise, légère en effet, libérée du poids des dogmes et de leurs illusions, de ne prédire que du bonheur ? Cassandre à l’envers ...
(Extrait d’une chronique
à paraître dans la revue Décharge
avec d’importants poèmes inédits de P. Castex Menier)
Repères : Patricia Castex Menier : Passage avec les voix. Collection Le chant du cygne aux éditions du Cygne (4, rue Vulpian - 75013 Paris). 48 p. 10€.
Au catalogue de la collection Le Chant du Cygne : Werner Lambersy et Romain Fustier, Denise Borias et Philippe Leuckx, Thomas Vinau et Denis Emorine qui la dirige : des œuvres denses, voire expérimentales, est-il annoncé. A découvrir.